Une soprano, un baryton, un piano : patchwork de rares mélodies inspirées par Shakespeare
Sounds and Sweet Airs. A Shakespeare Songbook. Mélodies de John Ireland (1879-1962), Ralph Vaughan Williams (1872-1958), Ernest John Moeran (1894-1950), Mario Castelnuovo-Tedesco (1895-1968), John Christopher Smith (1712-1795), Sir Michael Tippett (1905-1998), Thomas Augustine Arne (1710-1778), Ivor Gurney (1890-1937), Sir Hubert Parry (1848-1918), Joseph Haydn (1732-1809), Franz Schubert (1797-1828), Robert Schumann (1810-1856), Hugo Wolf (1860-1903), Peter Cornelius (1824-1874), Cheryl Frances-Hoad (*1980), Hannah Kendall (*1984), Francis Poulenc (1899-1963), Benjamin Britten (1913-1976), Arthur Honegger (1892-1955), Frank Bridge (1879-1941), Madeleine Dring (1923-1977), John Dankworth (1927-2010), Mervyn Horder (1910-1997), Samuel Coleridge-Taylor (1875-1912), Amy Beach (1867-1944), Roderick Williams (*1965), Sir Arthur Sullivan (1842-1900). Carolyn Sampson, soprano. Roderick Williams, baryton. Joseph Middleton, piano. Juin 2022. Livret en anglais, allemand, français (paroles en langue originale, traduction en anglais). TT 85’15. BIS-2653
Non moins de vingt-sept compositeurs et près d’une heure et demie pour ce récital vocal qui rend hommage à l’illustre dramaturge britannique. Le programme s’articule en cinq actes, pot-pourri plutôt hétérogène malgré la thématique de convenance : voyage dans le temps (de Thomas Arne à Mario Castelnuovo-Tedesco), versant germanique (Haydn, Schubert, Schumann, Cornelius, Wolf), incursion contemporaine (deux compositrices anglaises), retour au XXe siècle (un même extrait du Marchand de Venise, traité par Poulenc et Britten ; chants d’Ariel par Honegger), et en cinquième service un hétéroclite assemblage où Frank Bridge, Samuel Coleridge-Taylor, Amy Beach côtoient les moindrement célèbres Madeleine Dring, John Dankworth, Mervyn Horder (un délicieux tango), tout cela dans une veine plus légère. Roderick Williams offre même l’une de ses propres pages, avant Orpheus with his lute d’Arthur Sullivan, lui-aussi écrit pour duo, en guise d’épilogue.
Confrontées aux géniaux textes de Shakespeare (La Tempête, Comme il vous plaira, Un Songe d’une nuit d’été, Conte d’hiver, La Nuit des rois, Le Marchand de Venise, Othello, Beaucoup de bruit pour rien, Henry VIII…), on se demandera si les paroles de Rosalind écrites par Sabrina Mahfouz pour la James Cousins Company relèvent de la même altitude, même sous couvert d’explorer la gender fluidity du personnage : « Je ne suis ni lui ni elle, Juste une personne qui chaque jour choisit qui être » (sic, nous traduisons). Identité de genre questionnée, ad nauseam : un quart d’heure de poésie peut-être dispensable, et une musique qui à l’avenant brouille les repères de forme et tonalité. On y entend du moins Carolyn Sampson s’essayer à la music box et à l’harmonica. En tout cas, le mérite de ce disque est bien qu’on y trouve pour tous les goûts.
The Contrast ; Reason in Madness ; Elysium ; Fleurs ; Lost is my Quiet ; A soprano’s Schubertiade ; Album für die Frau ; But I like to sing : Carolyn Samspon et Joseph Middleton n’en sont de loin pas à leur première collaboration chez BIS, et ont déjà prouvé leur talent à visiter des terres connues comme à arpenter des archipels plus éclectiques. Le trio ici formé avec Roderick Williams fonctionne à un degré de connivence dont la couverture donne idée. Le résultat se hisse à pareille enseigne : travaillé, stylé et… sans se prendre au sérieux (entendre le baryton braire comme un âne dans l’inénarrable Lied des tranferierten Zettel !), ce qui est certainement la meilleure façon de traverser autant d’univers esthétiques.
Les quelques pièces notoires rassurent ; on se pique de glaner de nombreuses raretés, non toutes des pépites, mais qui aiguisent l’intérêt de la découverte. On peut succomber à l’ensemble de cette mosaïque, où le tout vaudrait davantage que la somme des parties. On peut se plaire à confronter comment différents compositeurs abordèrent un même texte. On peut y butiner à son aise sans crainte d’être déçu, tant la prestation s’avère sans défaut. On peut s’amuser à dresser son propre palmarès (avouons un faible pour The Lover and his Lass, et The Willow Song). Quelle que soit la raison qui vous amènera à ce disque et vous le fera aimer : ce sera la bonne tant, comme dirait leur hôte de marque,… ce monde est un théâtre.
Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire : 5-10 – Interprétation : 10
Christophe Steyne
Chronique réalisée sur base de l'édition SACD