Violanta, opéra de Korngold en un acte : superbe première en DVD

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Erich Wolfgang KORNGOLD (1897-1957) : Violanta, opéra en un acte. Annemarie Kremer, Michael Kupfer-Radecky, Peter Sonn, Soula Parassidis, Anna Maria Chiuri, Joan Folqué, Christiano Olivieri, Gabriel Alexander Wernick, Eugenia Braynova, Claudia De Pian. Chœurs et Orchestre du Teatro Regio Torino, direction Pinchas Steinberg. Mise en scène Pier Luigi Pizzi. 2020. Livret en italien et en anglais. Sous-titres en italien, anglais, français, allemand, japonais et coréen. 88.00. Dynamic 37876.

Né à Brno en Moravie, l’enfant prodige qu’est Erich Wolfgang (prénom prédestiné) Korngold a de tels dons pour la musique qu’il commence à composer dès son plus jeune âge. Sa famille s’installe à Vienne en 1901, où son père devient un critique musical important, défenseur de Mahler mais impitoyable envers Berg ou Schoenberg. Le jeune Erich étudie avec Robert Fuchs, puis avec Alexander von Zemlinsky. En 1906, il écrit une cantate, Gold, qui, présentée à Mahler, plaira tellement à ce dernier qu’il proclamera : « Un génie ! Un génie ! » Suivent un trio, une Sinfonietta (jouée par le Philharmonique de Vienne, dirigé par Felix Weingartner en 1913), une sonate pour violon… Un premier opéra, de courte durée, Der Ring des Polykrates, parodie de la fin de l’époque classique, voit le jour en 1913-14. Conscient de la trop grande brièveté de la partition pour une soirée et poussé par son père, Korngold compose à l’été 1914 un autre opéra en un acte, Violanta, sur un livret de Hans Müller (1882-1950), écrivain qui sera aussi l’auteur du texte d’un autre opéra de Korngold créé en 1927, Das Wunder des Heliane, et plus tard, co-auteur du livret de L’Auberge du cheval blanc de Benatzky. Quand Violanta est programmée à Munich en mars 1916 sous la direction de Bruno Walter (pas moins !), c’est conjointement avec Der Ring des Polykrates.

L’action se situe à Venise au XVe siècle, à l’époque du Carnaval, dans la maison de Simone Trovai, haute personnalité de la République de Venise. Son épouse, Violanta, est désespérée par le suicide de sa sœur Nerina après avoir été séduite par le fils illégitime du Prince de Naples, Alfonso. Violanta demande à son mari de la venger en assassinant le coupable après l’avoir attiré en leur demeure. Horrifié, Trovai commence par refuser puis se laisse convaincre. Alfonso fait son apparition, Violanta lui explique qui elle est et lui dévoile son intention de venger sa sœur. Alfonso lui raconte son passé malheureux qui ne lui a jamais permis de connaître l’amour et réclame la mort. Violanta se rend alors compte qu’elle est éprise de lui. Une déclaration et un baiser s’ensuivent. Le mari découvre la scène et veut tuer Alfonso. Violanta s’interpose et c’est elle qui succombe des mains de son époux, en remerciant celui-ci de lui avoir ainsi conservé sa dignité avant d’avoir fauté. Pour cette action dramatique qui s’achève en tragédie, Korngold, âgé de dix-neuf ans, a écrit une partition vibrante d’une grande maturité musicale et psychologique. Les personnages sont typés, le récit est vif, la trame est enlevée, les thèmes de la vengeance, de la passion et de la mort sont éloquents. Quant à la musique, elle est d’une grande richesse orchestrale, faisant appel à un effectif important où l’on retrouve cordes, bois et vents et une importante percussion. On y découvre des échos wagnériens, straussiens, mais aussi des accents proches du professeur du jeune compositeur, Zemlinsky, et de son opéra Eine florentinische Tragödie de 1906 dont le livret présente des similitudes avec Violanta. Cet opéra montre en tout cas l’énorme potentiel d’un musicien qui trouvera son apogée dans Die tote Stadt en 1920. Plus tard, on le sait, Korngold émigrera aux Etats-Unis où, sans abandonner son œuvre classique, il deviendra l’un des plus célèbres compositeurs de musiques de film.

La présente production Dynamic est l’écho d’un enregistrement public des 21 et 23 janvier 2020 au Teatro Regio de Turin. Une première italienne pour Violanta, chantée en version originale allemande. C’est aussi une première mondiale en DVD, de plus disponible en Blu Ray. La mise en scène, signée Pier Luigi Pizzi, est transposée dans la Venise des années 1920, à l’époque où l’œuvre a été composée, ce qui ne nuit en rien à l’action, l’esprit et les accents tragiques étant préservés. Un certain faste est présent dans les décors et la lumière (d’Andrea Anfossi), le rouge servant de couleur dominante, comme signe maléfique du sang qui motive cette histoire de passion et va aussi y mettre un terme. Sur scène, un immense canapé, rouge lui aussi, occupe une grande partie de l’espace et servira à des confidences ou à des épanchements ; des tentures complètent le tout, couvrant en partie le lit conjugal. Dans le fond, un aménagement circulaire assez glauque suggère un embarcadère où l’on peut prendre place sur une gondole ou en descendre. Les costumes, signés Pizzi eux aussi, sont attrayants : uniformes d’officiers, tenue princière d’Alfonso, sombre sans excès, robes bariolées et longues, celle de Violanta étant d’une élégante sobriété. Le lien avec la Renaissance n’est pas loin : il est dans la conception d’un lieu aristocratique qui va basculer dans la tragédie alors qu’il possède tous les atouts pour l’opulence et la vie facile, comme l’atteste la présence de courtisanes et d’officiers qui suggèrent la période du Carnaval. Comme l’indique Pizzi au cours d’un entretien inséré dans le livret : c’est une période d’amusement forcé qui, dans le cas présent, est lugubre et foncièrement triste, malgré l’atmosphère qui fait penser à un univers qui ne néglige pas la luxure. Transgression et néant sont omniprésents.

Le plateau vocal est impeccable. Dans le personnage de Violanta, la soprano hollandaise Annemarie Kremer, qui a incarné Norma, Tosca, Salomé, Madame Butterfly ou Luisa Miller, bénéficie d’une voix puissante, ample et variée, capable d’une grande intensité dramatique et de susciter l’émotion. Elle est grandiose dans les deux scènes fondamentales, celle où elle arrache à son mari la promesse d’assassinat et celle où elle est proche de s’abandonner à la passion qui l’envahit. Il y a chez elle des moments fulgurants, servis par une présence physique impressionnante et d’évidentes qualités de comédienne. L’incarnation est magnifique. Ses deux principaux partenaires masculins sont à la hauteur des exigences. Le ténor américain Norman Reinhardt s’est distingué dans Mozart, Bellini, Rossini ou Tchaïkowski, mais aussi dans Kurt Weill et Bernstein. Dans le rôle d’Alfonso le séducteur, il dispose d’une ligne de chant fouillée et menée avec soin. Il est très émouvant lorsqu’il explique à Violanta les secrets de son cœur et l’on participe, malgré la volonté de vengeance, à la fascination de la femme pour l’extase qui lui est offerte. Quant à Simone Trovai, le mari poussé aux extrêmes, il est confié au baryton allemand Michael Kupfer-Radecky, qui s’est fait acclamer à l’Opéra Bastille et à la Scala de Milan dans Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg mais a aussi tenu avec une vérité frappante le rôle de Jochanaan au Mariinski, sous la baguette de Gergiev ; il se consacre beaucoup à l’oratorio. Ce chanteur polyvalent donne au personnage malheureux du mari de Violanta, frappé par le destin, une vérité poignante et révèle sa douleur face à l’inéluctable. 

Tous les protagonistes, dont le ténor autrichien Peter Sonn en peintre déjanté, sont à la hauteur de cette production remarquable, dont l’intérêt ne faiblit à aucun moment tant le drame est soutenu et touche le spectateur. Les chœurs et l’orchestre participent grandement à cette réussite. Le chef israélien Pinchas Steinberg, qui a étudié le violon avec Jascha Heifetz et la composition avec Boris Blacher, a été directeur musical de la Philharmonie de Brême, de l’Orchestre Symphonique de Vienne et de l’Orchestre de la Suisse romande. Il donne de la partition orchestrale de Korngold une version flamboyante, soulignant avec un art consommé de la couleur toutes les nuances d’une œuvre passionnante et passionnée. Un DVD Indispensable !

Note globale : 10    

Jean Lacroix

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