Wolfgang Sawallisch, l'inspirant

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Wolfgang Sawallisch. The Warner Classics Edition. Complete Symphonic Lireder & Choral Recordings. 1954-1997. Livret en anglais, allemand et français. 66 CD Warner Classics.

Warner réédite en deux temps le legs du chef d’orchestre Wolfgang Sawallisch (1923-2013) avec un premier coffret consacré aux œuvres orchestrales, chorales et aux lieder alors qu’un second coffret centré sur les gravures lyriques sera publié cette automne. 

Wolfgang Sawallisch, c’est certes un immense chef d’orchestre et un pianiste raffiné à son aise tant dans la musique de chambre que dans l’exercice pas si simple de l'accompagnement de récitals, mais c’est un chef d’orchestre comme on en fait plus ! Un chef au répertoire assez vertigineux, à l’aise avec la création de son temps (on oublie trop souvent les premières mondiales qu’il a donné avec des partitions de Gottfried von Einem, Wolfgang Fortner, Wolfgang Rihm, Isang Yun…), mais aussi un musicien tout autant à son affaire au pupitre symphonique qu’en fosse lyrique ou à la tête d’un choeur ! Une flexibilité totale qui dénote à notre ère de spécialisation à outrance et de fuite devant la fosse des poupons des podiums, trop vite jetés dans la bain du star system…Analysons ce coffret en 4 temps.

Le jeune virtuose de la baguette

Les débuts de carrières du jeune Wolfgang Sawallisch sont fulgurants. Il débute avec le philharmonique de Berlin en 1952 ! En 1953, il est chef d’orchestre à Aix-la-Chapelle, puis Wiesbaden et Cologne (1960-1963). Il est repéré par Walter Legge, le légendaire producteur de disques qui lui offre en 1954 son premier enregistrement avec le Philharmonia Orchestra à Londres.  A partir de 1957, il est un invité régulier du Festival de Bayreuth, où il retourne chaque année jusqu’en 1962. Il est l’un des piliers du renouveau du festival et il répond pas sa musicalité tranchante à la nouvelle vision scénique épurée d’un Wieland Wagner qui cherche à dépoussiérer la dramaturgie scénique des opéras : Tristan und Isolde, Lohengrin, Der Fliegende Holländer et Tannhäuser marquent leur temps.  De 1961 à 1970, il est directeur musical des Wiener Symphoniker.  Car le jeune  Wolfgang Sawallisch impressionne et pas qu’un peu. Son style rigoureux et vif, change de celui des chefs allemands de la génération précédente, comme l’explique Alain Pâris, chef d’orchestre et auteur du Dictionnaire des interprètes chez Robert Laffont : “ après les chefs germaniques légendaires que furent Furtwängler, Knappertsbusch ou Karajan, Sawallisch a été l'un des premiers à mettre fin à des excès stylistiques qui avaient enfermé la direction d'orchestre allemande dans un excès de dramatisme et la recherche d'une pâte sonore parfois éloignés de la vérité des textes. Avant lui, on peut en trouver les prémices chez Bruno Walter ou Fritz Busch, mais leur lecture passionnée n'avait pas encore cette rigueur qu'il a su concilier avec la tradition germanique ». Dès lors à l’écoute de ses premiers enregistrements avec le Philharmonia Orchestra, on peut apprécier ce style fait de clarté des textures, de lisibilité des lignes mélodiques et d’une énergie vigoureuse et dégraissée. Dès lors, écoutons les Symphonies n°8 et n°9 de Antonín Dvořák, coupantes comme l’épée et vives comme un ruisseau de montagne. C’est un Dvořák décapé et énergique qui s’impose comme une référence alors que le Philharmonia Orchestra est en parade avec des pupitres aiguisés ! Autres grandes références les ouvertures de Weber, tissées par un maître des saynètes et des extraits wagnériens épiques et nerveux. Du côté de Richard Strauss, les suites assez mineures du Bourgeois Gentilhomme et le Divertimento d’après Couperin, que le chef fait exploser dans un torrent d’énergie et de virtuosité, parvenant à transcender ces exercices de styles souvent besogneux.  L’accompagnement de concertos était également l’une des grandes qualités du chef qui est aussi à l’aise avec des personnalités aussi variées que la pianiste Annie Fischer (Mozart), la violoniste Johanna Martzy (Mendelssohn et Mozart) ou le corniste Denis Brain.  Mention très bien pour un inattendu albums d’extraits des ballets de Tchaïkovski, de la musique de ballet allégée et nerveuse !    

Schumann, Beethoven et Brahms en intégrales  

3 grosses intégrales symphoniques sont regroupées dans ce coffret: Schumann, Beethoven et Brahms.

Référence des références, l’intégrale des symphonies de Schumann complétée de l’ouverture Manfred et du triptyque Ouvertüre, Scherzo und Finale avec la Staatskapelle de Dresde enregistré en RDA en 1972. Wolfgang Sawallisch était très à son aise avec cette phalange avec laquelle il avait enregistré une magistrale intégrale des symphonies de Schubert mais pour les Néerlandais de Philips.  Le chef d’orchestre atteint une quadrature du cercle entre la puissance du souffle romantique, la cursivité de son geste, la beauté fabuleuse de l’orchestre et la capacité à cerner l’originalité du geste compositionnel de Schumann. Prenons la Symphonie n°4, qui combine la puissance tellurique avec une finesse apportée aux transitions avec un esprit parfois dansant ou chambriste. Bien sûr, une telle vision ne serait pas possible sans la complicité avec des musiciens tantôt félins, tantôt hautement poétiques. Certes, la discographie de ces symphonies est de très haut vol, mais 50 ans après son enregistrement, cette somme peut légitimement être considérée comme un absolu !  

Au fil des années, le chef perd un peu de son influx nerveux pour garder l’approche rigoureuse et équilibrée au service de la musique. Il en va ainsi de son intégrale des symphonies de Beethoven (la seule qu’il a laissée alors qu’il existe des témoignages au fil de sa carrière dans l’une ou l’autre symphonie), enregistrée avec rien moins que le Concertgebouw d’Amsterdam dans les années 1990. A sa sortie, ce cycle n’avait pas été très bien reçu par les critiques qui ne juraient alors que par les expériences historiquement informées. Certes, tout est contrôlé avec cette direction qui soigne la lisibilité sans jamais alourdir  le propos. Ce concept de “mesure” s’applique à toutes les symphonies, point de puissance tellurique dans la Symphonie n°5 ou de transe endiablée dans le finale de la Symphonie n°7, mais un contrôle parfait qui construit le geste musical. Prenons le final de la Symphonie n°7, Sawallisch y construit le gradations et apporte une grande exigence aux transitions thématiques, jamais brutales mais toujours limpides. C’est la logique de l’architecte qui édifie pierre par pierre une cité imposante et impressionnante !  Forcément, les symphonies n°3 ou n°6 sortent plutôt renforcées par cette approche alors que les autres symphonies se dévoilent avec une ampleur dynamique considérable. En apothéose de ce cycle, la symphonie n°9 en impose par sa puissance dramatique !  

Autre grande intégrale tardive : les symphonies et oeuvres orchestrales de Brahms avec le London Philharmonic, des lectures, complétées par des concertos pour avec Stephen Kovacevich au piano, Frank Peter Zimmermann pour le concerto pour violon (mais avec les Berliner philharmoniker) et le double concerto avec le même  Frank Peter Zimmermann et Heinrich Schiff au violoncelle. Tout est très bien fait et mesuré, mais les symphonies ne masquent pas un certaine forme de distance, d’ennui dirons certains. Les concertos sont assez décevants avec un  Stephen Kovacevich certes virtuose et puissant mais plus massif que cursif et un Frank Peter Zimmermann un peu lisse et distancé dans le Concerto pour violon. Seul l’album composé du Double concerto superbement automnal et complété par une lecture magistrale du trio avec cor (avec une dream team : Wolfgang Sawallisch au piano, Heinrich Schiff au violoncelle et Marie-Luise Neunecker au cor) peut s’affirmer comme une référence.

De ces trois intégrales, on retient celle consacrée à Schumann qui reste une immense référence et on réécoute avec attention celle dédiée à Beethoven qui est une leçon de direction et un festival orchestral.  

Philadelphie, la machine à jouer 

En 1993, à l’âge de 70 ans, Wolfgang Sawallisch, au sommet de sa gloire, auréolé de l’immense succès de son mandat de Staatsoperndirektor de l’Opéra d’Etat de Bavière à Munich, accepte la direction musicale du Philadelphia Orchestra désireux de se concentrer que sur le répertoire symphonique, ce mandat durera 10 ans. Mais le chef n’est pas du style à prendre son rôle à la légère ! Dès sa première saison, c’est retour aux fondamentaux avec une symphonie de Haydn à chacun de ces programmes car le chef d’orchestre considérait qu’il n’y avait pas meilleure école pour un orchestre, même pour une phalange de légende. Mais cette période est celle de la transition du marché du disque classique et l'orchestre perd en 1996 son rémunérateur contrat avec EMI et il s’ensuit une grève des musiciens pendant 64 jours. Dès lors, le legs étasunien de Sawallisch n’est pas numériquement le plus important. On place aux sommets trois albums Richard Strauss dont une incroyable Sinfonia Domestica captée en concert, l’un des absolus de la discographie par la plastique vertigineusement belle de l’orchestre et l’impact incisif de la direction et une Heldenleben, épique, virtuose et qui s’appuie sur la beauté magique des cordes de cette phalange au galbe phonogénique. Autre grande réussite, un album vrombissant Hindemith avec le trio symphonique de démonstration : les pétaradantes Variations sur un thème de Weber, la linéarité contemplative de la symphonie Mathis der Maler et les sympathiques Nobilissima visione, la mécanique orchestrale est rutilante et ça en met les oreilles !  Quand on pense Philadelphia Orchestra, le nom de Stokowski revient vite à notre mémoire et en guise d’hommage, le chef a enregistré une sélection de ses orchestrations auxquelles il apporte une rigueur bienvenue qui met en avant la science de l’orchestre de son prédécesseur, mais sans les excès parfois dégoulinants de kitsch de ce dernier.  Saluons également des solides lectures de la Symphonie n°4 de Bruckner et un disque l’autre Wagner avec les plus rares ouvertures de  Wagner (Das Liebesverbot, Eine Faust-Ouverture, Rienzi) avec en complément le mouvement de la Symphonie en mi majeur et les Wesendonck-lieder dans une orchestration de Hans Werner Henze avec la mezzo slovène  Marjana Lipovšek).   On est par contre moins fans du ballet intégral du Lac des cygnes, un peu lourd et des symphonies n°7 à n°9 de Antonín Dvořák bien menées mais trop neutres. 

La passion des voix 

Wolfgang Sawallisch était par sa carrière et sa culture, un passionné de la voix, qu’il soit au clavier en tant qu'accompagnateur de lieder, chef de choeur dans la musique sacrée et profane de Schubert ou encore chef d’orchestre dans des fresques chorales comme la Symphonie n°2 de Mendelssohn, la rare Messe en Ut ou même d’excellentes et inattendues Carmina Burana de Orff pour lesquelles le chef avait même reçu les félicitations du compositeur. 

En matière d’accompagnement de lieder que ce soit au piano ou à l’orchestre (superbe album d’airs de Pfitzner avec Dietrich Fischer-Dieskau), est toujours à son sommet au service des chanteurs. Bien sur le tandem avec  Dietrich Fischer-Dieskau dans les lieder de Brahms et Mendelssohn, le duo est sans égal, mais le pianiste sait tout autant s’adapter aux timbres si différents de Margaret Price et Lucia Popp dans Richard Strauss. tout en parvenant à canaliser une Barbara Hendricks.  

L’intégrale de la musique profane et sacrée de Schubert est sans aucun doute l’un des absolus du legs du chef. En compagnie du Chœur et de l’Orchestre de la Radio Bavaroise, il rend à ces partitions leur saveur et leur esprit. Vervent dans les messes, il est un narrateur passionné dans les petites partitions pour chœurs, certes souvent mineures, mais qui respirent l’esprit de Schubert par cette simplicité poétique et touchante. Les solistes vocaux, quand ils sont requis par les nomenclatures sont des immenses chanteurs comme Lucia Popp, Helen Donath, Peter Schreier et même Dietrich Fischer-Dieskau en personne. Cette passion et cette dévotion, alliées à cette qualité artistique vertigineuse ne seront sans doute jamais égalées.     

Dès lors, malgré quelques faiblesses notées, ce coffret est un indispensable d’un maître de la musique, d’un parangon de la rigueur interprétative et de dévotion exemplaire pour la musique. Un modèle qui doit inspirer les générations futures par son éthique musicale.  

Note globale : 10

Crédits photographiques : Abe Frajndlich et Reg Wilson

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