A Genève, un Nikolai Lugansky captivant 

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Pour achever la série ‘Les Grands Interprètes’ de sa saison 2023-2024, l’Agence de concerts Caecilia invite le grand pianiste russe Nikolaï Lugansky que l’on a peu entendu à Genève depuis quelques années. 

Son programme du 17 avril au Victoria Hall comporte des pages de Rachmaninov qui constituent son cheval de bataille et des extraits d’opéras de Wagner transcrits par Liszt et par lui-même, mais commence par deux pièces de Chopin.

Dans le Huitième Nocturne en ré bémol majeur op.27 n.2, Nikolai Lugansky développe une basse ondoyante enveloppant une ligne de chant claire aux inflexions rêveuses. Mais l’accumulation des passaggi en accords durcit la sonorité pour la rendre pathétique. Cette tendance se vérifie aussi dans la Quatrième Ballade en fa mineur op.52 abordée lento en de sobres demi-teintes que les octaves de la main gauche menacent sans parvenir à troubler le recueillement du choral à deux puis à trois voix. Mais le développement suscite une virtuosité torrentielle dans laquelle la mélodie se perd, ce qui rend le discours anguleux.

A un tout autre niveau se hissent cinq des Etudes-Tableaux op.39 de Sergey Rachmaninov. Le pianiste élabore la Quatrième en fa dièse mineur avec un détaché brillant utilisant parcimonieusement la pédale de sonorité, alors que, dans la Cinquième en mi bémol mineur, il parvient à faire chanter la main droite au-dessus d’une basse tumultueuse. La Sixième en la mineur est tout aussi tourmentée avec ses déferlements d’accords en cascades qu’édulcorera la Huitième en ré mineur par ses élans rassérénés. Et la Neuvième en ré majeur progresse comme une marche inexorable dont le martellato met en branle de brillants carillons. 

La seconde partie est dévolue à Wagner et à quatre extraits de Götterdämmerung transcrits par Nikolai Lugansky lui-même qui, dans une note du programme, relate avoir découvert le Ring alors qu’il avait dix-huit ou dix-neuf ans. A l’instar d’un Carl Tausig, d’un Busoni, il s’ingénie à créer un climat théâtral en mettant en valeur la ligne mélodique sur des formules en tremolo ou en arpèges de la basse. Dans le « Zu neuen Taten, teurer Helde » du Prologue, il accumule les accords larges pour dépeindre la passion enflammée unissant Brünnhilde à Siegfried, tandis que l’imitation des cors dans le lointain suggère le Voyage de Siegfried sur le Rhin avec sauts d’octaves acclamant son audacieux projet. Des grondements sombres de la main gauche prend forme le cortège funèbre du héros défunt, scandé par de monumentaux tutti, alors que de cinglants traits en arpèges évoqueront les flammes consumant le bûcher où s’immolera l’intrépide walkyrie. 

Par la transcription que Franz Liszt livra de la Mort d’Isolde en 1868, s’achève ce récital. D’un tremolo sourd de la basse émane un brouillard laissant affleurer le sublime cantabile que les voix intérieures amplifient afin de parvenir au paroxysme du tragique puis conclure par les suaves demi-teintes de la rédemption. 

Devant l’accueil délirant du public, Nikolai Lugansky concède quatre bis, la transcription d’une page de Bach encadrée par trois pièces brillantes de son cher Rachmaninov.

Genève, Victoria Hall, 17 avril 2024

Crédits photographiques : Jean-Baptiste Millot

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