En concert à Madrid : premier enregistrement de deux quatuors de Conrado Del Campo 

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Conrado Del Campo (1878-1953) : Quatuor à cordes no 6 en si mineur « Asturiano » ; Quatuor à cordes no 7bis en mi mineur. Gerhard Quartet. Judit Bardolet, Lluís Castán, violon. Miquel Jordà, alto. Jesús Miralles, violoncelle. Juin 2023. Livret en anglais et espagnol. Digipack 2 CDs TT 44’20 + 40’53. MarchVivo MV009

Les treize quatuors à cordes qui survivent au compositeur espagnol Conrado Del Campo se répartissent en deux phases créatrices couvrant chacune une décennie (1903-1913, 1942-1952). Après les troisième et cinquième enregistrés par le Quatuor Duotima, la Fondation Juan March poursuit l’exhumation de cet important legs chambriste, avec l’appui du Proyecto Conrado qui prévoit l’édition des partitions et une série de disques, en lien avec des concerts. En 1995-1996, les Brodsky avaient déjà levé le voile sur le Cuarteto no 5 et le Cuarteto no 13, sous label Iberautor.

Sous-titré Cuatro estudios sobre cantos populares asturianos, le sixième Quatuor émane d’un concours organisé par l’Athenaeum de Madrid, qui requérait l’emploi de thèmes ou chansons nationales. Del Campo intégra non moins de onze sources populaires, enracinées dans la région nord-occidentale de son pays, en un creuset qui s’inscrit à la fois dans le terroir et la grande tradition d’Europe centrale. La complexité de l’Andante initial, son foisonnement de surface, sa sensibilité épidermique, révèlent une écriture incessamment animée. Les concessions au folklore s’expriment davantage dans le Scherzo dont le Trio vibre d’effets percussifs, et dans la longue Rapsodia conclusive, tissée de six mélodies locales, et qui rappelle l’imagerie des Novelettes d’Alexandre Glazounov (1865-1936).

L’œuvre ne fut présentée au public qu’en 1984 et inaugure ici la discographie, à l’instar du Quatuor no 7 bis. Celui-ci, dans sa version initiale, connut toutefois une création peu après sa composition en 1911, à la Salle Pleyel, autour du violoniste belge Nestor Lejeune, ardent promoteur des répertoires russe et tchèque, mais aussi ibérique. La partition tomba cependant dans l’oubli, avant d’être remaniée à l’occasion d’une commande de la ville de Liège. Daté de 1951, ce numéro d’opus bis, plus concis que l’original, endossa alors le titre « Musica movet affectus », allusion à l’érudit théologien médiéval Isidore de Séville. La robuste construction (forme sonate éprouvée pour le premier mouvement) et la veine dramatique (voire programmatique pour l’Adagio) s’incarnent dans une harmonie recherchée, aux riches modulations, sans renoncer aux emprunts pittoresques (une chanson basquo-navarraise est citée dans le Scherzo) ni à la panoplie d’humeurs dans le conclusif et imprévisible Allegro animato y humoristico.

L’exigeante écriture de ces deux œuvres foisonnantes réclame des interprètes aguerris. On mesure la préparation et la concentration du Gerhard Quartet pour parvenir à une exécution aussi maîtrisée. En 2017 la jeune formation assemblée quelques années auparavant se distinguait dans un éclectique album pour Harmonia Mundi, confrontant le romantisme de Schumann à Alban Berg et György Kurtág. On ne peut encore que saluer son implication et sa virtuosité dans cette réalisation qui abonde la catalogue en « world premiere recording ». On a appris en septembre dernier que les quatuors 8 et 9 seront à l’initiative de cette nouvelle saison.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9,5

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