Première gravure mondiale de la Symphonie n° 13 de Philip Glass

par

Truth in our Time. Nicole Lizée (°1973) : Zeiss After Dark : Sesquie pour le 150e anniversaire du Canada. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 9 en mi bémol majeur op. 70. Erich Korngold (1897-1957) : Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 35. Philip Glass (°1937) : Symphonie n° 13. James Ehnes, violon ; Yao, auteur-compositeur-interprète ; Orchestre du Centre national des Arts du Canada, direction Alexander Shelley. 2022. Notice en anglais et en français. 78’ 50’’. OMM 0166.

Sous la baguette de l’Anglais Alexander Shelley (°1979), directeur musical de l’Orchestre national des Arts du Canada depuis 2015, la première mondiale de la Symphonie n° 13 de Philip Glass a été donnée à Toronto le 30 mars 2022, avant une première américaine au Carnegie Hall de New York le 5 avril suivant, puis une troisième exécution le 13 avril à Ottawa. Cette deuxième présentation en terre canadienne faisait l’objet d’un concert public que le présent album restitue dans son intégralité. Avec son intitulé Truth in our Time, ce concert rendait hommage à Peter Jennings (1938-2005), élégant présentateur-vedette, pendant plusieurs décennies, de la chaîne ABC News. Canadien d’origine, devenu citoyen américain en 2000, Jennings, toujours en recherche de vérité et d’objectivité dans l’information et soucieux de rapprocher les gens, avait notamment fait sensation en assurant l’antenne, pendant soixante heures d’affilée, après les attentats du 11 septembre 2001. La Symphonie n° 13 de Glass est le résultat d’une commande de la famille de ce journaliste pour lui rendre hommage. Elle figure en clôture de ce concert du 13 avril 2022.

Le programme s’ouvre par une très brève (2’ 22’’) pièce pour orchestre de la compositrice canadienne Nicole Lizée, qui est aussi vidéaste. Cette œuvre aux aspects mystérieusement scintillants et lancinants est l’une des pages demandées à toute une série de compositeurs pour célébrer le sesquicentenaire (150 ans) de l’unification du Canada en 2017, d’où son titre évoquant le mot préfixé. Elle est suivie par la déclamation d’un texte vibrant, écrit par l’auteur-compositeur- interprète Yao, Strange Absurdity (4’ 30’’). Ce jeune artiste, né en Côte d’ivoire de parents togolais, est arrivé au Canada à l’âge de 13 ans et s’est vite imposé par sa voix grave et son côté groovy, punk et soul à la fois. L’éditeur aurait été bien inspiré d’insérer le contenu de son texte, au moins en anglais, dans la notice. Yao y pose des questions existentielles d’une façon très engagée.

Afin d’illustrer le thème de ce concert dédié à la vérité, le choix de la Symphonie n° 9 de Chostakovitch est judicieux. On connaît les circonstances de cette partition créée à Leningrad en 1945, dont le caractère léger et classicisant fit plus qu’étonner, car on s’attendait à une œuvre grandiose symbolisant la victoire. A la tête de son orchestre canadien, Alexander Shelley en propose une bonne version de concert, en particulier dans le Moderato, dont il dessine le lyrisme avec subtilité. Il ne fait pas concurrence aux références connues, mais pour l’événement, la tenue est adéquate. C’est ensuite le violon du Canadien James Ehnes (°1976) qui donne du chaleureux Concerto pour violon de Korngold, à la veine néo-classique reprenant des thèmes de musiques de films dont il était un maître, une version rayonnante, pleine de sève et de souplesse. Ecrit la même année que la Neuvième de Chostakovitch, ce concerto, dédié à Alma Mahler-Werfel, a été créé en 1947 à St Louis par Jascha Heifetz sous la direction de Vladimir Golschmann. James Ehnes en a déjà laissé une version de studio avec le Symphonique de Vancouver mené par Bramwell Tovey (Onyx, 2006). Il en est ici un interprète inspiré. C’est le meilleur moment de la soirée.

On découvre en fin de programme la Symphonie n° 13 de Glass, à replacer dans le contexte de la période où elle a été écrite, celle du confinement, en 2021. La notice explique que, lorsqu’il a été saisi d’une commande pour la circonstance que nous avons décrite, Glass, sensible au thème « la vérité à l’ère moderne », a déclaré : Plutôt que de proclamer « voici la vérité », un compositeur se trouve en terrain plus solide s’il s’exprime simplement sur « la musique que j’écoute, la musique que j’aime, et la musique que j’écris ». Et nous en restons là. En trois mouvements d’une durée globale d’un peu plus de 21 minutes, cette symphonie succède à l’étonnante Douzième au sein de laquelle, sur des inspirations de chansons de David Bowie, on entendait la voix aux raucités voluptueuses de la reine de l’afro-funk Angélique Kadjo (notre article du 21 juillet 2022). On avouera une certaine déception à l’écoute de la Treizième, qui apparaît la plupart du temps comme une resucée des compositions précédentes de Glass, sous la forme de « déjà entendu ». La notice a beau nous dire qu’elle s’intéresse simplement à la vie – dans toutes ses corrélations et sa beauté, nous ne sommes guère emportés par une musique qui semble ici ne pas beaucoup se renouveler, malgré l’un ou l’autre élan bienvenu. Alexander Shelley et sa phalange canadienne tirent le meilleur parti possible de la part de confort qu’elle représente dans la production du créateur. On ne peut s’empêcher toutefois de se dire que l’interprète habituel du compositeur, Dennis Russell Davies, aura peut-être l’occasion d’en mettre en valeur d’autres ressources.

Enregistré dans un son correct à la Salle Southam du Centre national des Arts à Ottawa, ce concert doit être considéré comme le reflet de ce qu’il représente, à savoir un hommage posthume rendu à la personnalité et à la carrière de Peter Jennings. C’est pour ce motif que nous lui accordons une note globale, en plus de celle attribuée séparément à la symphonie de Glass 

Note globale du concert : 8  

Glass : Répertoire : 6,5

Jean Lacroix       

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